Chapter 78
2142mots
2022-10-21 04:46
78
M'avait-il entendu le supplier tout à l'heure ? A-t-il exaucé ma prière ? Malgré l'atrocité de cet instant, je n'ai pas pu empêcher le soupir de soulagement s'échapper de ma bouche. Il y avait donc encore un peu d'espoir.
Je reportai mon regard sur Flo et me penchai près de sa bouche. C'était très faible, mais je sentais un souffle léger caresser ma joue.

- Je ne l'ai pas tué… chuchotai-je faiblement.
- Non, Jessie. Il est toujours là.
Thibault me prit dans ses bras et je me laissai aller quelques secondes avant de me reculer et de me précipiter près de mon frère. Si Flo était revenu, peut-être que lui aussi. Je cherchais son pouls mais ne trouvais rien. Mon ami m'a rejoint et a répété mes gestes. Après des secondes interminables, il me regarda et secoua doucement la tête, avant de me reprendre dans ses bras. Il murmura « désolé « à mon oreille et je me remis à pleurer. Cette faible lueur d'espoir s'était envolé, mais je m'en doutais. J'avais entendu le craquement sourd de son cou. Je le savais d'avance, mais j'avais eu besoin de vérifier. Mon frère m'avait quitté et je ne pouvais plus rien pour lui.
- Venez, éloignez-vous, entendis-je.
Je me reculai de Thibault et vis que des pompiers s'affairaient dans le salon. Il se releva et me prit sous les épaules pour m'aider à me mettre debout, mais je n'avais plus de forces. Il passa un bras sous mes genoux et me porta. Je fermai les yeux et me laissai bercer. J'entendais plusieurs voix, certaines s'adressaient à moi il me semble, mais je ne pouvais plus parler. Je n'y arrivais plus. Mes larmes aussi avaient disparues. J'étais vidée, tant physiquement, qu'émotionnellement.
Je sentis de l'air frais sur ma peau, puis on m'a allongée. Des portes ont claqué, un moteur a rugit. Ce qui me semblait être une piqûre fut la dernière chose que j'ai sentis avant de plonger dans un sommeil profond, sans rêve ni cauchemar.

J'ouvris difficilement les yeux. Tout était blanc et lumineux autour de moi, tout était trouble. Était-ce un hôpital ? Pourquoi j'étais à l'hôpital ? À ma droite, Thibault était endormi sur une chaise et son tee-shirt gris était taché de sang. Pourquoi saignait-il ? Que lui était-il arrivé ?
Je fouillai dans ma mémoire quelques instants et me redressai immédiatement. La mémoire venait de me revenir. Cette nuit atroce se déroulait de nouveau devant mes yeux. Ces flashbacks m'étourdissaient tellement, mais il fallait que je me lève. Je posai mes pieds nus au sol et une main se posa sur mon épaule.
- Jessie, doucement… souffla Thibault.
- Non, il faut que j'aille les voir. Il faut que je me lève, il faut que…

- Tu t'allonges, m'interrompit-il.
- S'il te plait. Je vais bien, tentai-je de me persuader.
Il m'allongea de nouveau de force en rabattant le drap sur moi. J'étais tellement dans les vapes que mes tentatives pour protester étaient vaines.
- Dis-moi Thibault. Comment ils vont ? Est-ce qu'ils sont…
- Calme-toi Jessie.
Je me redressai pour m'asseoir. Il était assis sur le bord de mon lit et caressait le dos de main avec son pouce.
- Je me calmerai quand tu me diras. Je t'en pris.
Il soupira et me regarda dans les yeux. Son regard était empli de tristesse, de fatigue, et d'appréhension. Il avait peur de ma réaction.
- Aux dernières nouvelles, Flo est toujours en salle d'opération. Ils l'ont amené à notre arrivée et ne sont pas encore ressorti.
- Depuis combien de temps ?
- Huit heures, dit-il en regardant son téléphone.
- Et… Il… Il va s'en sortir ?
- Je ne sais pas, on a aucune nouvelles…
J'avais du mal à tout assimiler. Plusieurs pensées s'accumulaient et s'entremêlaient à une vitesse folle. Huit heures pour une opération ça parait tellement long, il a dû se passer quelque chose de grave dans la salle. Peut-être qu'il ne se réveillera pas. Peut-être ne reverrais-je plus jamais ses yeux couleur océan se refléter dans les miens.
De plus, je devais lui demander quelque chose. Je n'arrivais pas à lui poser cette question, la question à laquelle je connaissais déjà la réponse, mais il fallait que je sache, que j'en sois certaine.
- Fabien, il…
Je ne pouvais pas me résoudre à terminer cette phrase, mais il comprit. Pour toute réponse, il me prit dans ses bras et me berçait doucement. Je ne pleurais pas. Je n'y arrivais plus. Pourtant, j'en avais envie. Et j'en avais besoin, je crois.
- Réponds-moi, s'il te plait, murmurai-je tout contre son cou.
- Il est partit, Jessie. Je suis désolé.
Je fermai les yeux, et me laissai aller une seconde fois dans le sommeil, sauf que ce sommeil-là n'était pas aussi calme que le précédent. Les scènes se rejouaient en boucle et je ne pouvais pas me réveiller. Je sentis une main claquer violemment sur ma joue et j'ouvris les yeux instantanément, Thibault était penché sur moi et me tenait les épaules.
- Excuse-moi… Tu faisais un cauchemar et je n'arrivais pas à te réveiller…
- Hum… Ok…
J'étais légèrement perdue et déboussolée, par cette gifle et par ce cauchemar. Thibault descendit de mon lit, visiblement gêné d'avoir dû lever la main sur moi, mais je ne lui en voulais pas. Il m'embrassa sur la joue qui me chauffait un peu et s'excusa de nouveau.
Je me dégageai de son emprise pour descendre de mon lit, mais il m'a rattrapé au moment où j'atteignais la porte.
- Jessie, reste ici.
- Je dois aller le voir, laisse moi y aller s'il te plaît.
Ses mains étaient posées sur mes épaules, et j'étais dos à lui. Soudain, la terreur s'empara de moi et j'avais peur de ce que je commençais à comprendre.
- Pourquoi tu m'en empêche ? lui demandai-je en me retournant face à lui. Ne me dis pas que lui aussi est…
- Non, Jessie. Il est en salle de réveil, mais je…
Je ne lui laissai pas finir sa phrase et me précipitai dans le couloir. S'il est en salle de réveil, c'est qu'il est en vie et que je me suis trompée. Je dois le voir.
- Jessie ! Arrête toi, m'ordonna Thibault en m'attrapant par le poignet.
- Emmène-moi le voir, je t'en pris. Si tu ne le fais pas, je le trouverai moi-même, Thibault. Tu peux en être sûr.
- Je dois te prévenir de quelque chose avant, se résigna-t-il. Les médecins ne savent pas s'il va se réveiller. Il y a eu quelques problèmes en salle d'opération, à cause de ses nombreuses hémorragies internes. Et en plus de ça, son visage n'est pas très beau à voir et…
- Je veux le voir.
Il me prit par la main et se dirigea dans le couloir opposé à celui que je voulais prendre. On s'est arrêté prêt d'une porte ouverte, mais je n'ai pas regardé à l'intérieur de la pièce. Je voulais le voir, mais j'avais peur, évidemment. Je serrai la main de Thibault un peu plus fort.
- Tu veux que je t'accompagne ?
Je secouai la tête, pris mon inspiration, et lâchai sa main pour entrer. Il m'embrassa longuement sur le front, comme pour me donner du courage, avant de me laisser y aller.
La pièce était toute en longueur, et plusieurs lits occupés, séparés par des rideaux se succédaient. J'avançais lentement en regardant rapidement les personnes endormies, certaines entourées de leurs proches, je suppose, d'autres non. Je m'arrêtai en face de l'avant dernier lit, et m'approchai de lui doucement, des larmes roulant sur mes joues.
Son visage était ravagé : sa lèvre inférieure ouverte, un coquart à chacun de ses deux yeux, l'arcade sourcilière enflée et recousue et pour finir, un large bandage entourait sa tête. Le drap remonté sur son torse laissait apercevoir le dessus d'un autre bandage qui l'encerclait, et une attèle maintenait son poignet droit, qui reposait par-dessus le drap.
Un tuyau reliait son bras à une poche de liquide transparent, un autre à une poche de liquide rouge. De l'autre côté du lit, une machine faisait un petit bruit aigu à intervalles réguliers, ce qui me rassurait, contrairement à tout le reste.
Je tombai à genoux à côté du lit et serrai sa main gauche dans la mienne, en répétant la même litanie pendant de longues minutes.
- Pardonne-moi mon Amour, pardonne-moi. Je suis tellement désolée, si tu savais. Fabien est partit Flo, ne me fais pas la même chose, je t'en pris. J'ai besoin de toi. Tellement…
Je continuais de le supplier en caressant sa main valide. Je voulais passer mes doigts sur son visage mais j'avais peur de le faire souffrir. Il avait suffisamment souffert par ma faute, je ne devais pas en rajouter. Une présence à mes côtés interrompit mes supplications, je détournai mon regard pour croiser des yeux presque identiques à ceux de mon Amour.
- Max… soufflai-je.
Il m'aida à me relever et me prit dans ses bras, me maintenant fermement pour m'éviter de tomber. Une fois de plus, je m'excusai auprès de quelqu'un que je faisais souffrir.
- Je suis désolée, Max. C'est de ma fa…
- Merci… me murmura-t-il à l'oreille.
Je me reculai, surprise, sans pour autant le lâcher.
- Tu me remercies alors que c'est à cause de moi qu'il est là ?
- Tu l'as sauvé, Jess.
- Non non non, répétai-je en secouant la tête frénétiquement. C'est à cause de moi si…
- Arrête ça tout de suite, m'ordonna-t-il calmement. C'est toi qui a sauvé mon frère. Je ne sais rien de ce qu'il s'est passé, mais c'est grâce à toi qu'il est toujours en vie. Je le sais, c'est tout.
J'allais répliquer mais il m'interrompit.
- Je ne veux plus t'entendre t'excuser, c'est bien compris ? Sinon je répéterai tout à Flo à l'instant où il ouvrira les yeux.
Il esquissa un léger sourire pour tenter de me faire sourire, mais j'ai bien vu qu'il n'allait pas bien. Il faisait cela pour essayer de me détendre, peut-être. Ou pour se détendre lui-même, je l'ignore.
Je me retournai vers Flo et m'installai sur le bout du lit, comme si j'avais peur de le déranger, Max s'installa sur la chaise face à moi. Je pris la main de Flo et la posai sur ma cuisse en caressant ses doigts.
- Je viens de parler avec les médecins, commença-t-il doucement. Il y a eu des complications pendant l'opération. Il avait une importante hémorragie à l'estomac en arrivant et une seconde est survenue à son foie dans la salle d'opération, mais ils ont réussi à l'arrêter.
Il s'arrêta et me regardait dans les yeux. Je pouvais percevoir, tant dans son regard que dans sa voix, qu'il était épuisé. Il jaugeait ma réaction, comme pour voir si je serait capable d'encaisser le reste du diagnostic. Je ne lui laissai pas le temps de le deviner et lui demandai de continuer.
Je voulais savoir ce qu'il avait exactement. Le silence entre nous était ponctué par le bip incessant de la machine qui était reliée à Flo, mes yeux étaient rivés sur nos mains.
- Il a quatre côtes cassées, sa mâchoire a été déboitée, un léger traumatisme crânien, et une entorse au poignet. Sans compter les plusieurs hématomes sur tout son corps. Les médecins ont dit qu'il s'en remettrait.
- C'est-à-dire ?
- Il est tiré d'affaire. Il n'y a plus qu'à attendre qu'il se réveille.
- Combien de temps ?
Je voyais poindre une lueur d'espoir. Faible, mais tout de même présente.
- Bientôt, j'espère. Tout dépend de lui maintenant.
- Il faut lui laisser le temps de reprendre un peu de force, ajouta Thibault qui venait de nous rejoindre.
Il m'embrassa sur le front et resta debout à mes côtés quelques minutes. Il semblait vouloir me dire quelque chose et ne tarda pas à le faire.
- Il y a des policiers qui veulent te voir, m'informa Thibault.
- Je ne le laisse pas.
- Je reste avec lui, je te préviens s'il se réveille, me promit Max.
Je me levai et sortit à contre-cœur, la main de Thibault dans la mienne. Je ne voulais pas quitter la pièce, mais je n'avais pas le choix.
- Jessica ? demanda un des deux flics en me voyant arriver.
- Oui.
- Nous vous présentons nos plus sincères condoléances.
Cette phrase toute faite n'avait aucun sens de la bouche d'un type comme lui, il me disait cela seulement pour paraitre poli, rien de plus. Mais je n'avais pas la force, et encore moins l'envie de me prendre la tête, surtout avec des flics, alors j'ai répondu par politesse, un faible « merci « .
- Nous avons quelques questions à vous poser.
- Je m'en serais doutée… répondis-je sarcastiquement.
- Veuillez nous suivre, s'il vous plaît.