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- Pourquoi ?
- J'ai oublié mon sac chez Camille et il rentre chez moi, alors il passe me le déposer.
- Ah ok. On a le temps de commencer une partie.
J'ai pris une manette et il a mit le jeu en route. Quand Fabien sonna à la porte, Flo lui cria d'entrer, ce qu'il fit. On termina rapidement la partie et Flo lui servit à boire. On s'est posé sur le canapé et on a discuté en regardant la rediffusion d'un match de foot. C'est plus eux qui parlaient ensemble du match. Étrangement, ils étaient supporter de la même équipe. Ils étaient donc d'accord sur leurs commentaires en référence aux arbitres ou aux joueurs. Je n'aimais pas le foot, mais j'aimais les voir comme ça. Une certaine complicité s'était installée entre eux et moi je souriais comme une idiote en les regardant. Les voir comme ça me réjouissait tellement et me faisait un bien fou.
- Au fait, Camille t'as foutu à la porte ? s'amusa Flo.
- Elle travaille tôt demain matin et pas au même endroit que moi, donc je rentre à la maison.
- Mais oui, c'est ce qu'on dit !
- Ta gueule Flo, répliqua mon frère en riant.
Ils continuèrent leurs chamailleries amicales pendant plusieurs minutes. Chamailleries interrompues de temps à autre par un commentaire ou deux sur le match.
Quelqu'un sonna à la porte vers vingt deux heure, ce qui fit râler Flo. Il se leva et ouvrit. À peine la porte était-elle ouverte que Flo fut projeté en arrière. Il atterrit durement sur le sol et semblait avoir reçu un coup dans le visage. Fabien et moi nous sommes levés en même temps. Flo se tourna sur le côté en crachant un peu de sang et je me suis précipitée vers lui pour l'aider à se relever. Trois hommes entrèrent dans l'appartement et un quatrième les suivait.
Non. Impossible…
Ma vue se brouilla à l'instant et j'ai eu un moment d'absence en le voyant.
Faites que je sois en plein cauchemar, faites que tout cela ne soit pas réel… Il ne peut pas être là. Cela ne peut pas être possible.
- Bonsoir Jessica. Je suis très heureux de te revoir.
Mais c'est qui ceux-là ? Pourquoi ils sont chez moi ? Et qu'est-ce que je leur ai fais pour qu'ils entrent comme ça ?
- Ça fait longtemps qu'on ne s'était pas vu, n'est-ce pas, Jessica ? demanda un des quatre hommes qui avaient envahi mon appartement.
Jess et Fabien m'aidèrent à me relever. Ce coup de poing, qui avait été porté à ma mâchoire avec une telle violence, m'avait littéralement assommé. Je déteste passer pour un mec faible comme ça, mais ce gars avait une force incroyable.
Je relevai la tête en faisant abstraction au goût métallique du sang qui avait envahi ma bouche pour regarder ces individus et celui qui avait parlé nous regardait en souriant. Ou plutôt, il avait le regard rivé sur ma copine. Il s'est adressé à Jess en l'appelant par son prénom. Il a dit que ça faisait longtemps. Non, c'est impossible que ça soit l'homme auquel je pense. Je regardai Jess, qui elle regardait attentivement l'homme.
- Je vous suis, lui dit calmement Jess.
- C'est trop tard, Jessica. Tu devrais t'en douter, non ?
Le sourire sur le visage de cet homme était à vomir, tellement il était effrayant et hypocrite.
- Jess… soufflai-je. Ne me dis pas que…
- Tais-toi, m'ordonna-t-elle.
Fabien la tenait par la main, mais elle se dégagea pour s'approcher des hommes.
- Je pars avec vous. Immédiatement, déclara Jess.
- Tu as cru que ça allait être aussi simple, Jessica ? Tu n'as pas reçu nos invitations ces dernières semaines ? Mais si bien sûr. Et tu as décidé de les ignorer. C'est pourquoi, je me suis déplacé, en personne. Tu devrais te sentir honorée de ma présence. Et je n'ai pas fais tout ce trajet seulement pour que tu nous suive docilement.
Je tournais la tête vers l'homme et vers Jess, à chaque fois que l'un d'entre eux prenait la parole. Je ne comprenais rien du tout à ce qui se déroulait sous mes yeux. Ou plutôt, je ne voulais pas comprendre. J'avais bien trop peur d'avoir raison, mais je le savais.
- De quoi il parle Jess ! m'exclamai-je.
- Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda Fabien en même temps que moi.
L'homme qui semblait être le chef fit un mouvement de tête et deux hommes se sont approchés de nous, une arme chacun à la main : un pistolet était pointé sur mon visage, et l'autre sur celui de Fabien, ce qui nous a fait reculer de Jess. Elle ne semblait pas le moins du monde perturbée que deux mecs nous pointent un flingue sur la tempe. Pour ma part, je n'ai jamais eu aussi peur de toute ma vie.
- Ils ne tireront pas, déclara Jess, sûrement pour nous rassurer.
Bizarrement, ça ne me faisait pas cet effet là…
- S'ils n'ont pas le choix, ils le feront, répondit le chef.
- Tu n'en donneras pas l'ordre parce que tu ne veux pas ameuter tout le quartier. Et je suis prête à parier que les chargeurs sont vides, continua-t-elle avec arrogance.
Mais qu'est-ce qu'elle raconte ? Pourquoi elle les provoque comme ça ? Elle est complètement dingue ! Elle veut nous tuer ou quoi !
Non. Elle sait ce qu'elle fait et je lui fais confiance. Elle les connait, je le sais. J'en suis certain maintenant. L'homme qui pointait son arme sur moi avait le même tatouage que Jess à l'intérieur du poignet. C'est donc un homme important de là-bas. Jess avait raison, ils étaient revenus pour la chercher, et je ne l'avais pas cru.
- Emmenez moi à sa place, est intervenu Fabien. Elle m'a apprit tout ce que vous lui avez apprit. Je sais me battre comme elle. Laissez la, je vous suivrez.
- Moi aussi, continuai-je, avec le plus d'assurance dont je pouvais faire preuve. Nous deux en échange d'elle.
- Vous pensez vraiment que deux prétentieux dans votre genre allaient être capable de la remplacer, elle ?
- Elle ne repartira pas là-bas ! lui criai-je.
- Fais en sorte qu'il se taise.
Il s'était adressé à celui qui me tenait immobile, et il a obéit dans la seconde. Je me suis pris un coup dans le ventre, ce qui m'a mit à genoux instantanément. L'air à disparu de mes poumons un moment et j'ai récupéré mon souffle petit à petit, toujours plié en deux au sol.
Fabien esquissa un mouvement pour m'aider mais l'autre homme l'a frappé au visage.
- Visiblement, vous n'êtes pas aussi doué que vous l'avez prétendu, déclara le chef.
Jess, elle ne réagissait pas et lui parlait, pendant que je me redressai.
- Tu m'observes depuis quand ? demanda-t-elle.
- Depuis que tu es partie, Jessica.
Son prénom dit avec sa voix grave et rauque faisait froid dans le dos et m'insupportait à un point inimaginable.
- Pourquoi tu as attendu tout ce temps ?
- Pour ça, dit-il en nous montrant Fabien et moi.
Elle ne se retourna pas et continua.
- Je ne comprends pas.
- Aller, fais un petit effort Jessica. Quand as-tu commencé à recevoir mes petites enveloppes ?
- Je n'ai pas envie de jouer aux devinettes, alors parle, lâcha-t-elle froidement.
Il s'approcha d'elle rapidement et lui attrapa le visage. Il lui releva la tête pour qu'elle croise son regard, mais elle ne broncha pas.
- Lâche-la espèce d'enfoi… Aaah !
Je venais de recevoir un nouveau coup dans le visage.
- Ce n'est pas toi qui donne les ordres ici, ma jolie. Tu l'as déjà oublié ? reprit l'homme en m'ignorant totalement.
- Non, répondit-elle en grognant.
- Bien. Maintenant, tu vas aller t'asseoir sagement sur ce canapé, et on va boire un petit coup tout les deux.
Jess lui obéit et Fabien et moi étions toujours debout devant les deux colosses qui nous surveillaient. Le quatrième était resté devant la porte, une arme à la main. Le chef fit couler de l'eau dans deux verres et les déposa sur la table basse, en faisant comme chez lui. Jess ne nous avait toujours pas jeté un coup d'œil et son visage restait impassible : ni terreur, ni angoisse, ni tristesse. Rien. Pour ma part, je ne savais pas quoi faire, ni comment réagir. À ce moment là, je me sentais si inutile, et totalement désemparé. Je suis certain que toutes les émotions que dissimulait Jess pouvaient facilement se lire sur mon visage, et sur celui de son frère qui semblait aussi paniqué que moi.
Elle le regarda droit dans les yeux quand il s'est assit près d'elle, sans détourner le regard, sans cligner des yeux.
- Qu'est-ce que tu veux ?
- M'amuser. Tu m'as ignoré pendant trop longtemps, et ça m'a mis en colère, tu comprends ?
- Je savais que tes lettres étaient un avertissement.
Quelles lettres ? pensai-je. Elle a reçu des lettres de sa part et ne m'a pas prévenu ? Je voulus ouvrir la bouche mais la refermai immédiatement quand il reprit la parole, me coupant dans mon élan.
- Et tu pensais pouvoir m'échapper pendant combien de temps ?
- J'espérais avoir trois années supplémentaires.
- Vraiment ? rit-il.
Son rire faisait froid dans le dos. Jess était toujours immobile et le regardait toujours dans les yeux. Laisser parler ses émotions, c'est montrer ses faiblesses. C'était la base selon elle. Et elle réussissait parfaitement. C'en était même perturbant. Pour moi, mais pas pour lui, visiblement, parce que lui non plus ne laissait rien transparaitre sous son sourire haineux.
- Je savais que tu allais revenir, avoua-t-elle.
- Et je t'ai manqué ?
- Pas du tout.
- Tu es toujours aussi insolente, à ce que je vois.
Il esquissa un mouvement pour lui caresser la joue mais elle se recula légèrement.
- Je ne vais pas perdre mes bonnes habitudes.
- Je sais que tu n'as pas perdu tes aptitudes au combat, et tu t'en ai servi. Tu as entrainé ces deux imbéciles, déclara-t-il avec haine en nous désignant. Tu redoutais ce jour-là, n'est pas ?
- Oui, répondit-elle sans détour.
- Et tu crois vraiment qu'ils seront capable de seulement toucher mes gars ?
- Je n'en ai pas la moindre idée.
Son honnêteté me faisait mal, mais ce qu'elle disait était vrai. Même moi je ne savais pas si je serais capable de ne serait-ce que les effleurer, vu leur carrure et leur rapidité.
- On va vérifier ça maintenant alors.
Le chef posa délicatement sa main sur la joue de Jess et tourna sa tête pour qu'elle puisse nous regarder, mais ses yeux étaient rivés sur le mur, entre Fabien et moi.
- Par lequel tu veux commencer, Jessica ?
- Tu n'as pas besoin de faire ça. Je te suivrai sans problème.
- Je le sais très bien. Mais comme je te l'ai dis, tu m'as énervé, alors j'ai besoin d'un divertissement.
- Pourquoi ? Parce que je n'ai pas pris en compte tes petits courriers ?
- Non. Parce que tu était heureuse.
Elle tourna vivement sa tête vers le chef.
- Je te demande pardon ?
Il se leva et se dirigea vers Fabien en souriant.
- Tu vois, ce jeune homme ? C'est ton grand frère alors je peux comprendre que tu passes du temps avec lui, Jessica. Mais lui… continua-t-il en s'approcha de moi. Ça m'a fait de la peine de te voir lui sourire, tu sais.
Il est sérieux là ? Il est revenu la chercher parce qu'elle était heureuse ? Qu'est-ce que c'est que ces conneries !
- Pourquoi tu m'as libérée ? demanda Jess.
Il retourna près d'elle, le sourire aux lèvres et but une gorgée d'eau.
- Ça t'as toujours perturbée de ne pas savoir, pas vrai ?