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Le vendredi suivant, quand je suis rentré chez moi après le travail, Jess et Thibault étaient dans le salon, en train de rigoler. Mon meilleur ami avait finit le travail plus tôt que moi. Un petit grain de jalousie pointait le bout de son nez dans un coin de ma tête, mais je le fis rapidement disparaître. Enfin, du mieux que je pouvais.
Je serrai la main de mon meilleur ami et embrassai Jess. Je me suis assis près d'elle en remarquant ce qu'il tenait dans ses mains.
-Tu fais quoi avec le téléphone de Jess ? demandai-je à Thibault.
- Je lui donne mon numéro au cas où.
Il me fit un petit sourire vicieux accompagné d'un clin d'œil.
- Je t'ai déjà dis de ne pas me faire de clin d'œil ! m'exclamai-je en grimaçant, ce qui fit rire Jess.
- J'aime bien te faire flipper. Tiens chérie, dit-il en rendant son téléphone à ma copine.
- Et arrête de l'appeler comme ça, grognai-je.
Je passai mon bras sur les épaules de Jess et elle se cala contre moi. Elle n'avait pas dit un mot depuis que j'étais entré.
- Oh ! Toi, tu as passé une mauvaise journée, plaisanta-t-il.
- Je suis crevé et tu me gonfles.
- Bon et bien je vais y aller alors. Salut, mec. A plus chérie, on s'appelle !
- C'est ça casse-toi, marmonnai-je.
Il sortit en fermant la porte et je soupirai de soulagement en balançant ma tête en arrière. Jess s'installa sur mes genoux. Elle prit ma tête entre ses mains et me sourit, ce qui m'apaisa un peu. Je passai mes bras autour de sa taille. Elle était de plus en plus confiante avec moi et ça me plaisait beaucoup.
- Trois solutions : soit tu es réellement crevé, soit tu es très énervé, soit tu es terriblement jaloux. Je pencherais pour la dernière option, s'amusa-t-elle.
D'accord. Elle prenait un peu trop confiance finalement.
- Ça va lâche-moi, soufflai-je en laissant retomber mes mains sur le canapé.
- Ok.
Elle se dégagea et partit dans la cuisine. Je lui avais parlé plus sèchement que je ne l'aurais voulu, mais ça m'a énervé qu'elle voit que j'étais jaloux. Je l'ai rejoint et l'ai enlacée par derrière pendant qu'elle cherchait je ne sais quoi dans le réfrigérateur.
- Désolé Bébé. Je ne voulais pas te parler comme ça. Je suis vraiment fatigué. Et un peu énervé. Et peut-être aussi jaloux. Mais un tout petit peu seulement, souris-je en embrassant son épaule.
Elle se retourna et passa se bras autour de mon cou.
- Tu es jaloux de ton meilleur ami ?
- De tout ceux qui t'adresse la parole en fait…
- Intéressant…
Elle me fit un petit sourire amusé.
- Je t'interdis de jouer avec moi là-dessus. Je suis sérieux.
- Tu me connais Flo, je ne parle à personne que je ne connais pas.
- Merci.
Je l'ai serrée dans mes bras et j'ai enfoui mon nez dans ses cheveux.
- Une dernière chose, dit-elle en s'écartant pour me regarder.
- Mmh ?
- Bébé ?
- Ouais, rigolai-je. C'est sortit tout seul.
- C'est pas grave. Ça me va, me sourit-elle.
- Tant mieux, parce que j'aime bien.
On a mangé, regardé un peu la télé et on est allé se coucher. Quand j'attendais qu'elle se change, j'ai réfléchis et j'avais trouvé un moyen de gagner un peu plus sa confiance. J'allais devoir lui parler de moi. De mes petits… Secrets.
Elle se coucha près de moi, et au bout de quelques minutes de silence, je lui ai dis :
- Tu te souviens, au début qu'on était ensemble, je t'avais dis que je ne voulais pas que tu m'appelles par mon prénom.
- Oui, je me rappelle.
- Je voudrais t'en dire la raison.
- Tu n'es pas obligé tu sais, me rassura-t-elle.
- Je sais. Mais j'en ai envie.
- D'accord. Alors je t'écoute.
Je me suis assis sur mon lit et elle fit de même , face à moi. Après quelques secondes de silence à la fixer, je lui racontai toute l'histoire, sans qu'elle ne prononce un mot.
- Quand j'étais petit, ma famille était tout ce qu'il y avait de plus normal. J'avais mon père, ma mère et mon grand frère, Max. Je ne me suis jamais vraiment entendu avec mon père tout comme mon frère d'ailleurs. Comme dans un peu toutes les familles, non ? Mais quand j'avais quatorze ans, ma mère a eu un cancer des poumons. Selon mon père, c'était de la faute de mon frère et moi, puisqu'il s'était remis à fumer à ma naissance. Soi-disant il était beaucoup trop stressé quand je suis né, ou je ne sais quoi. Des conneries oui ! Il lui fallait seulement des coupables pour la maladie de ma mère… Du coup, il nous en a voulut à tout les deux, et à ma mère. Il s'est mis à boire et à frapper ma mère. Max et moi on essayait de la défendre, mais on s'en prenait plein la gueule à chaque fois. Il s'est donc mis à nous frapper aussi. Toutes les fois où mon père pétait un câble, j'allais à la rivière, où je t'avais emmené une fois. Ce n'était pas très loin de chez moi alors ça m'arrivait de passer mes nuits là-bas. Ou alors, j'allais chez Thibault.
J'ai pris la main de Jess pour caresser ses doigts.
- Je m'en voulais de ne pas rester près de ma mère, mais j'avais peur. Seul mon frère restait à ses côtés. Au bout d'un certain temps, l'état de ma mère a empiré. Son cancer a provoqué des tumeurs, et elle est allée à l'hôpital. Je ne voyais déjà presque plus mon père à ce moment là, et je passais mes journées près d'elle. Ce cinéma a duré deux ans depuis le début de sa maladie. Quand ma mère est morte, mon père a disparu définitivement. Je ne l'ai plus jamais revu. Mon frère m'en voulait lui aussi mais il est resté chez nous jusqu'à mes dix-huit ans en tant que tuteur légal, puis il est partit. Quand je suis sortis du lycée, j'ai demandé un travail à mon oncle qui m'a beaucoup aidé. Je n'avais rien foutu en cours à cause de tout ce merdier, alors je n'ai pas eu mon bac. Mon oncle m'a donc hébergé chez lui le temps que je réunisse assez d'argent pour trouver un appartement. Max ne m'en veut plus maintenant. Il a compris que j'étais trop jeune et trop stupide, alors il m'a pardonné. Et moi, je lui ai pardonné de m'avoir abandonné.
Pendant le temps où je lui ai parlé, Jess m'a écouté en me regardant. Je lui jetais des coups d'œil de temps en temps et elle n'a pas détourné le regard tout le long. C'était étrange, mais ça faisait incroyablement du bien de déballer cette histoire. Je ne l'avais encore jamais racontée à personne, alors que j'ai tout dit à Jess, sans réfléchir aux phrases que j'allais dire ou taire. C'était incroyable de voir à quel point c'était simple de lui parler, seulement en me plongeant dans son regard ou, en l'occurrence, en serrant sa main.
- C'est ton père qui t'appelait par ton prénom complet ?
- Ouais. Il n'y a que lui qui m'appelait Florian. Comme pour mon frère. Il l'appelait Maxime. Je ne sais pas pourquoi. Du coup, à chaque fois que j'entends mon prénom, je pense à mon père. Donc, ça me fait penser à ma mère, et ça me fait encore plus détester celui qui me sert de géniteur. Il a tué ma mère.
- Tu ne peux pas dire qu'il a tué ta mère, déclara-t-elle.
- Si je le peux. Elle était malade et il n'a fait qu'empirer son état.
- C'est vrai. Mais ce n'est pas à cause de lui qu'elle est tombée malade.
Je lâchai sa main et me reculai d'elle pour m'adosser contre la tête de lit.
- Il fumait ! Toute la journée il avait une clope à la bouche et il l'a frappait ! Pourquoi tu le défends ? m'exclamai-je.
- Je ne le défends pas Flo, souffla-t-elle.
- Si. Tu essaies de lui trouver une excuse. Il nous frappait Jess ! Tu ne peux pas prendre sa défense !
- Je sais. Excuse-moi. Je… J'essayais juste de comprendre et de… T'aider. Pardon.
Elle s'approcha et me pris la main. Je l'ai regardée dans les yeux et elle est venue sur mes genoux pour me prendre dans ses bras. L'odeur de son parfum et de son shampooing avait le pouvoir magique de m'apaiser. On est resté longtemps dans cette position, dans un silence reposant, puis on s'est couché. Elle a posé sa tête sur mon torse et je caressais ses cheveux.
- Et toi ? lui demandai-je après plusieurs minutes de silence.
- Quoi moi ?
- Ton père, il est où ?
- Comment tu sais q…
- Ton frère, la coupai-je.
- Tu parles de mon père avec mon frère ?
Elle s'est redressée d'un seul coup ce qui m'a fait mal au menton, puisque ma tête était posé sur le sommet de la sienne.
- Aïe !
- Désolée.
- C'est rien. Ton frère a seulement mentionné le fait que ton père n'était plus là, le jour où il avait voulu me parler, chez toi.
- Ah. D'accord.
Elle s'est rallongée et m'a dit que son père était partit habiter en Angleterre pour du travail. Il était chercheur en biologie dans une université à Londres. Il avait quitté sa famille il y a deux ans et demi parce que ça n'allait plus avec la mère de Jess. Jess m'a dit qu'elle se sentait coupable de la séparation de ses parents parce qu'ils s'engueulaient toujours à son sujet. A propos de sa timidité, de son renfermement… Je n'ai pas trop compris mais elle ne voulait pas s'étendre sur le sujet, alors je n'ai pas insisté.
Cette soirée avait été forte en émotions, tant pour elle que pour moi je pense. Après cette discussion, elle s'est endormie, et je n'ai pas mis longtemps à la suivre.
Cette nuit, Flo s'est ouvert à moi. Ça m'avait fait mal au cœur d'entendre ce qu'il avait vécu, mais j'étais heureuse qu'il m'en aie parlé. Est-ce que je devrais faire de même ? Est-ce que je devrais lui raconter les épisodes sombres de mon passé ? Peut-être qu'il m'avait dit tout cela seulement pour que je lui parle. Pour me montrer qu'il avait confiance en moi. Mais est-ce que j'aurai vraiment le courage de lui faire confiance à mon tour ? La force de tout lui dire ? Je ne savais pas. Je ne savais plus rien en ce qui concernait Flo. J'étais complètement perdue.
Le lendemain soir, on était en train de se préparer, Flo et moi, pour aller à une soirée chez un ami à lui. Thibault était passé dans l'après-midi pour forcer son meilleur ami à y aller mais il ne voulait pas. En insistant un peu, j'avais réussi à le convaincre, malgré moi.