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- Tu faisais quoi ?
- J'ai combattu des pirates, lui dis-je en souriant.
- Ah ouais ? rit-il.
- Ouais. N'est-ce pas Morgan ?
Le petit hocha la tête et ma mère déposa les plats sur la table. Tout le monde s'est servi et a commencé à manger.
- Jess ?
- Oui maman ?
- Tu dors à la maison ce soir ?
Je jetai des rapides coups d'œil à Flo et à ma mère. Je n'avais pas prévu de rester pour la nuit mais ça m'embêtait de répondre par la négative à ma mère.
- Avec Flo bien sûr, continua-t-elle en souriant.
- Euh… Je…
- D'accord, répondit Flo à ma place.
J'ai souris à ma mère pour confirmer et elle s'excusa auprès de Max de ne pas l'inviter lui aussi, mais il n'y avait pas la place. Il comprit de suite et de toute façon, il n'avait pas l'intention de rester. Flo lui a donné les clés de chez lui pour qu'il puisse rentrer tout à l'heure.
- Il va dormir où ? demanda mon père soudainement.
- Avec Jess, tu veux qu'il dorme où ? répondit ma mère.
Je sentais que cette discussion n'allait rien donner de bon, et ma mère s'en était rendu compte après avoir prononcé sa phrase. Mon père nous regardait Flo, ma mère et moi tour à tour. Il paraissait choqué. Il pensait vraiment qu'après trois mois ensemble on dormirait encore dans des chambres séparées ? Bon, d'accord, c'était ce que je souhaitais au début. Mais plus maintenant.
- Vous dormez ensemble ? s'était-il exclamé, choqué.
Plus personne ne parlait et tout le monde s'était arrêté de manger. Excepté Morgan qui s'amusait avec sa viande.
- Oui papa. Maintenant, est-ce qu'on peut continuer le repas ? lui dis-je en prenant un morceau de dinde, même si je n'avais plus du tout faim.
- Non, trancha mon père. Flo, tu as l'air d'un gars sympa, mais je te rappelle que ma fille n'a que dix-sept ans, alors tu dormiras sur le canapé.
- Papa, si j'avais attendu ton autorisation pour quoique ce soit, j'en serais toujours à choisir mon futur lycée, ajoutai-je calmement.
- Jessica ! cria mon père.
- Quoi ? Ne me dis pas que j'ai tort.
Je ne voulais pas créer d'embrouilles mais il m'énervait. Je continuai :
- Tu ne le connais pas et tu ne me connais plus. J'ai changé, et visiblement, tu essaies de faire de même. Je te remercie mais je n'ai plus besoin de ta protection maintenant.
J'étais dure, mais je n'avais pas le choix.
- Oui c'est ce que je vois Jess ! Tu as changé, et c'est à cause de lui ! cria mon père. Tu ne m'appelles même plus, je n'ai plus aucune nouvelles.
- Papa ça suffit, est intervenu Fabien.
- Non ! s'écria-t-il en se levant brusquement. Pourquoi tu es avec une fille aussi jeune hein ? C'est ma fille ! s'adressa-t-il à mon copain.
- Monsieur je… commença Flo.
- Papa ! cria Fabien. Si c'est pour foutre la merde, barre-toi ! On a très bien fait sans toi pendant trois ans et tu te pointes le jour de Noël pour lui prendre la tête ? Je me suis occupé de Jessie pendant qu'elle avait besoin de toi, pendant que tu préférais ton travail à ta famille. Elle n'a plus besoin de toi, et elle a de moins en moins besoin de moi aussi.
Fabien jeta un rapide coup d'œil à Flo, avant de fixer de nouveau mon père. Ils étaient tout les deux en colère et je n'aimais pas ça. Kelly s'est levée de sa chaise et est venue sur mes genoux pour pleurer contre moi tandis que Flo me tenait fermement la main et n'osait plus ouvrir la bouche. J'aurais tellement voulu que ça se passe autrement, mais avec mon père dans les parages, ce n'était pas possible.
- Je t'interdis de me parler comme ça Fabien ! hurla mon père après mon frère.
- Barre-toi.
Il était redevenu calme et froid. La tension entre les deux était horrible.
- Je viens de te dire de ne pas me parl…
- Sors d'ici, est intervenue ma mère.
- Qu… Quoi ?
- Sors de chez moi, lui répéta ma mère en prononçant chaque mot séparément.
Il y a eu quelques minutes de silence avant que mon père ne prenne ses affaires et parte en claquant la porte. Fabien s'est assis et s'est excusé auprès de tout le monde. Je me suis excusée à mon tour, j'ai essuyé les larmes de Kelly et elle est retournée s'asseoir près de ma mère. Elle ne comprenait pas encore tout à fait ce qu'il se passait, et d'un côté, ce n'était pas plus mal.
On a ensuite continué de manger calmement et en silence. Mon père avait plombé l'ambiance.
- Papa ? demanda timidement Morgan.
- Oui ?
- Je peux retourner jouer ?
- Oui vas-y.
- Tu viens avec moi ? me demanda le petit.
- Je te rejoins tout à l'heure, lui dis-je en lui embrassant le front.
Il parti en grognant qu'il voulait que je vienne maintenant, mais j'avais mon assiette à terminer.
- Alors comme ça tu aimes bien jouer aux pirates ? me sourit Max, ce qui provoqua quelques rires.
- C'est très instructif !
Il avait réussit à détendre un peu l'atmosphère et je l'en remerciais silencieusement. La discussion reprenait peu à peu son rythme, et tout le monde faisait comme s'il ne s'était rien passé.
À la fin du repas, Gaby a sortit plusieurs boites de chocolats de son sac pour nous les offrir. Ma mère avait eu exactement la même idée, donc elles ont procédé à des échanges. Ma mère avait acheté en plus, un parfum de marque pour mon frère, une poupée barbie avec un cheval que ma sœur voulait absolument, et une gourmette en argent avec mon prénom inscrit en lettres noires pour moi. Je ne lui avais rien demandé mais elle se sentait obligée de me prendre quelque chose. Mon frère m'a aussi offert un sweat du groupe Queen qui était magnifique, ainsi que le DVD d'un dessin animé pour ma sœur.
Après cet échange de cadeaux et de remerciements, Max est partit avec Gaby en portant son fils qui s'était endormi sur le lit de Kelly en regardant la télé. Je me suis excusée une nouvelle fois pour l'attitude de mon père mais Max m'a assuré que tout allait bien, puisque nous avions tout de même passé une bonne soirée.
On est ensuite tous allé se coucher.
J'espérais sincèrement que Flo ne m'avait rien acheté pour Noël. Je lui avais dis que je ne voulais pas qu'il dépense de l'argent pour moi. Il m'avait assuré qu'il ne le ferait pas, mais je pense que j'avais des raisons de ne pas le croire.
Je suis allée me changer dans la salle de bain, le laissant seul dans ma chambre. Je ne savais pas pourquoi je n'arrivais toujours pas à me changer devant lui. Ses yeux posés sur moi me terrorisaient, même si j'arrivais à en faire abstraction quand on… Enfin, quand on était occupé, quoi… C'était différent.
Quand je suis revenue dans la chambre, Flo était couché sur le dos, torse nu, les mains croisées derrière la tête.
- Encore désolée pour ce que mon père a dit, m'excusai à nouveau en m'asseyant sur le lit.
- Ce n'est rien, ne t'en fais pas. Moi je suis désolé que ça ne se soit pas passé comme tu l'aurais voulu.
- Je m'y attendais, soufflai-je en m'allongeant près de lui.
Il m'embrassa doucement en passant sa main sous mon tee-shirt.
- Ah non ! lui dis-je en rejetant sa brutalement sa main.
Il rigola doucement en se penchant sur moi pour m'embrasser dans le cou.
- Non comme hier soir ? s'amusa-t-il.
- Non. Ce coup-ci, c'est un non définitif.
- Ah ouais ? me sourit-il en tirant mon haut.
- Je te préviens toute suite que si tu n'enlèves pas ta main de là je vais dormir sur le canapé. Je te promet que je le ferai, ris-je à mon tour.
- C'est à cause de ce matin ?
- Ma vengeance de ce matin, je la prendrai plus tard. Là, c'est parce que mon frère dort dans la chambre collée à la mienne et que les murs sont encore plus fins que chez toi.
- Oui mais j… Non non non c'est bon j'arrête, se reprit-il quand j'ai commencé à me lever.
Je me suis allongée en riant. J'appréciais d'être détendue après le fiasco de ce soir. J'ai posé ma tête sur son torse et je m'amusais à suivre les contours de ses abdos du bout de mes doigts. J'aimais bien entendre les battements de son cœur tout contre mon oreille.
Après plusieurs minutes de silence, où je croyais qu'il s'était endormis, il me dit :
- J'aurais une autre question à te poser.
- Tu choisis vraiment ton moment… Dis-moi ?
Je savais quelle genre de question il voulait me poser, et je lui avais promis d'y répondre en toute honnêteté. Il caressait mon dos avec sa main et continua :
- Tu m'as dit que tu devais prendre des médicaments et te faire des piqûres mais je ne t'ai jamais vue le faire.
- C'est parce que je le fais quand tu ne me vois pas. C'est gênant ce genre de choses. J'ai deux médicaments à prendre le matin et ma piqûre à faire tout les soirs.
- C'est pour ça que tu vas te changer dans la salle de bain ?
- Pas spécialement, marmonnai-je.
- D'accord.
Il rigola à cause de ma tendance à être pudique devant lui, et je le comprenais. Il redevint sérieux et reprit :
- C'est quoi comme piqûre ?
- Là-bas, ils me faisaient des injections tout les jours et je suis devenue très dépendante. J'ai appris plus tard que ce qu'ils m'injectaient était un mélange de plusieurs drogues. Quand je suis revenue, j'en ai donc été privée et il fallait laisser mon corps se libérer de tout les résidus qu'il restait dans mon organisme.
Je pris le temps de respirer un coup avant de continuer :
- Je suis restée plusieurs jours sur un lit d'hôpital, les mains et les pieds attachés, et je hurlais et me tordais de douleur.
Je frissonais encore en y repensant.
- Le manque est une sensation encore pire que les brûlures au fer. Les piqûres que je me fais c'est pour compenser ce manque. Un peu comme une autre drogue à laquelle je suis accroc. Si je ne les fais pas, la douleur revient. En fin de compte, je me suis débarrassée d'une drogue, pour en avoir une autre, mais beaucoup moins forte.
Je me suis redressée d'un seul coup pour regarder Flo dans les yeux :
- Est-ce que tu t'es déjà drogué ?
Ma question l'a surpris, ce que je pouvais comprendre. Mais il fallait que je sache.
- Non… Enfin, si… J'ai déjà fumé quelques fois, mais rien d'autre.
- Promet-moi que tu ne toucheras jamais à rien, même pour essayer, même si tu te dis que ça sera juste une fois. S'il te plaît. Promet-le moi.
- Je te le promet Bébé, répondit-il en caressant mes cheveux.
- Parce que je sais ce que ça fait, continuai-je. Ça me faisait du bien de prendre ses saloperies, c'est même moi qui en redemandais au bout d'un moment. Mais le manque est quelque chose d'horrible alors il ne faut jamais que tu prennes quoique ce soit, même si tu te dis que tu arriveras à t'arrêter, même si t…
- C'est promis, Jess. Je ne le ferai jamais, m'assura-t-il en tenant mon visage entre ses mains. Je te le promet.
Je lâchai un soupir de soulagement.
- D'accord. Merci.
- Embrasse-moi maintenant.
Ça m'a fait sourire faiblement, et je l'ai embrassé tendrement.
- Tu sais, c'est cette sensation de manque que je ressentirai si tu décides de me quitter un jour, me souffla-t-il contre mes lèvres en me fixant avec un regard triste.
- Dans ce cas là, tu ne l'a ressentiras jamais.
- Comment tu peux en être sure ?
Je lui avais posé la même question quelques semaines plus tôt. Les rôles s'étaient maintenant inversés. Il me parlait avec une telle tristesse que ça me faisait mal au cœur. Je n'avais pas l'intention de le quitter alors pourquoi il le pensait ? Est-ce que j'avais l'air aussi désespérée que lui à cet instant quand je lui avais posé cette question ? Probablement…
J'approchai ma bouche pour frôler ses lèvres et lui murmurai :
- Je t'aime.
Deux mots. Seulement deux.
Deux petits mots pourtant si simple mais tellement unique et magique venant de celle que j'aimais. Je n'avais jamais imaginé que les entendre me rendrait aussi bien, je flottais maintenant sur un petit nuage, laissant les mots s'imprégner dans mon cœur et dans mon esprit. J'avais déjà une idée de ce qu'elle pouvait éprouver pour moi, de ses sentiments. Mais l'entendre prononcer ces deux mots était parfait. C'était de loin le meilleur cadeau de Noël qu'elle aurait pu me faire.
Je t'aime.
Sur le moment, je n'avais pas su quoi lui répondre. Tant de mots ce bousculaient pour sortir de ma bouche que je n'avais pas su lesquels je devais employer. Je voulais lui dire que moi aussi je l'aimais, j'aurais aimé la remercier d'être avec moi, lui promettre une énième fois que je ne la quitterai jamais, qu'elle était tellement précieuse et unique à mes yeux, mais rien de tout cela n'avait pu franchir la barrière de mes lèvres. J'avais seulement répondu à son baiser enflammé, avant qu'elle ne s'endorme contre moi pendant que ces deux mots continuaient de se répéter en boucle dans ma tête.
Je me suis réveillé seul. Comme d'habitude je dirais, mais ça ne m'empêchait pas d'être heureux. Je m'étais endormi avec le sourire, et je me réveillais avec ce qui devait me faire passer pour un gamin, mais peu importe. Elle m'aimait, c'était le plus important à mes yeux.
Dans le salon, Jess et sa mère discutaient sur le canapé et sa sœur regardait la télé.
- Bonjour ! m'exclamai-je en entrant, beaucoup plus joyeusement que je ne le pensais.
- Enfin ! Il ne reste plus que Fabien maintenant, s'indigna Kelly.
- Pourquoi tu râles si je ne suis pas le dernier ? Et pourquoi tu râles tout court ? ris-je.
- Parce que j'en ai envie !
Elle me tira la langue et je lui ébouriffai les cheveux. J'ai embrassé Jess sur le sommet de sa tête et j'ai fais la bise à sa mère, puis je suis allé me servir un café. Des croissants étaient sur la table de la cuisine alors j'en ai pris deux avant de retourner auprès de Jess, toujours en souriant.
Jess m'avait seulement jeté un rapide coup d'œil avant de revenir à sa discussion avec sa mère. Je n'ai pas pris part à cette conversation et je les écoutais à peine, trop accaparé par mes pensées, qui ne se résumaient qu'à deux mots, mais je fus dérangé. Kelly s'amusait à me donner des petits coups de pied dans la cuisse pour m'embêter alors je me suis jeté sur elle pour la chatouiller. Elle se tortillait dans tout les sens et criait, pendant que Jess et sa mère riaient.
- C'est quoi ce bazar ? Je ne peux pas dormir tranquille ? nous interrompit Fabien.
- Excuse-nous mon roi ! plaisanta Kelly.
Elle profita d'ailleurs de cette interruption pour s'éloigner de moi et se réfugier derrière sa sœur. Elle me narguait en me tirant la langue une nouvelle fois. Quelle gamine insolente !
Fabien s'est assis avec nous malgré son commentaire, et on a discuté tous ensemble. Je crois qu'il commencait à m'apprécier. J'en étais d'autant plus sûr puisqu'il avait prit ma défense contre son père hier. Je ne l'avais pas remercié et je ne comptais pas le faire. Il le prendrait certainement mal.